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Réponse de Torquemada

GALLICA_Le Figaro_1936_08_02.pdf

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Un confrère, dans un hebdomadaire du Front populaire, me traite de “Torquemada” –comme si j’avais jamais brûlé personne!
A qui fera-t-on croire qu’en Espagne, les vies ne sont précieuses que d’un seul côté? A qui fera-t-on croire que les troupes antibolchevistes se composent uniquement de généraux et de Riffains? Un paysan de la Navarre vaut devant Dieu un ouvrier de Barcelone. Et ce qui frappe douloureusement un ami de l’Espagne, c’est cette égalité des frères ennemis dans l’héroïsme, cette émulation pour mépriser la mort –et aussi, hélas! pour mépriser la vie: cette commune férocité.
Tous les Français dont le cœur penche du côté des insurgés sont-ils les misérables et les traîtres que dénoncent les journaux d’extrême-gauche? Le vrai est que, dans cette histoire, la France perd sur les deux tableaux: il est indéniable qu’une dictature militaire à Madrid, tant que le Front populaire gouvernera à Paris, est une menace pour la France alliée de Moscou. Mais le Front populaire n’est pas éternel, et le serait-il, que n’avons-nous à redouter de l’établissement du bolchevisme en Espagne!
Chacun selon son cœur est nuisible à l’un ou à l’autre péril. Je ne traite pas mon contradicteur de terroriste parce qu’il ne tient compte en cette affaire que de ce qui flatte ou de ce qui contrarie sa fureur partisane.
Mais où je le trouve un peu comique, ce cher camarade, c’est lorsqu’il s’indigne de l’insurrection –qui tout à coup ne se trouve plus être “le plus saint ni le plus sacré des devoirs”! Il m’objectera que les militaires ne sont pas le peuple… Mais les militaires n’eussent rien fait s’ils n’avaient été soutenus par une fraction très importante du peuple –beaucoup plus importante que celle qui a décidé en 1792 de la chute de la monarchie française et, en 1917, de la déposition du Tsar.
Avouez donc que ce qui est licite, recommandable et sublime dès qu’il s’agit des forces de gauche, devient à vos yeux un crime ignoble dès que les forces de droite osent y avoir recours.
Si les troupes insurgées ne défendaient que des privilèges, comme vous avez le front de le soutenir, elles seraient depuis longtemps battues. D’un même cœur religieux, chaque Espagnol se rallie à son drapeau. Il est aussi grand de mourir pour le Christ ou pour le Roi que de mourir pour Staline. Tels de vos collaborateurs suent la haine du catholicisme. Souffrez que d’autres ressentent pour Moscou une horreur égale.
Et puis, si les Français qui penchent du côté des insurgés espagnol sont les grands misérables que vous dénoncez, –que direz-vous des autres peuples de l’Europe qui, en haine du bolchevisme, attendent, espèrent le succès de Franco?
Je crains que les écrivains de votre sorte ne cèdent à leur passion, en politique, avec plus de fureur que les simples mortels. D’abord, parce qu’ils sont entraînés par les images. J’ai fort goûté celle qu’a relevée notre collaborateur Michel-P. Hamelet, dans un discours de Malraux: “…Un bruit sourd ébranla les maisons paysannes; c’étaient les troupeaux de moutons chassés par les mitrailleuses de la garde maure…”
Mais vous, vous n’avez pas, pour déguiser la vérité, recours à des effets de ce genre: c’est merveille que de vous voir rendre vos adversaires responsables de la catastrophe économique dont les risques éclatent partout. Avec quel cynisme vous vous efforcez de détourner contre eux une fureur qui monte et dont vous avez peur!
Vous savez bien que l’écroulement des petites entreprises, la ruine de la classe moyenne, le renchérissement de la vie sont la conséquence directe de mesures votées sans étude et sans préparation, dans l’affolement. Vos journaux le reconnaissent. L’agitation des Champs-Elysées eût-elle suffi à chasser les touristes de France, s’il n’y avait eu les occupations d’usines, la fermeture des hôtels, les grèves d’inscrits maritimes et la hausse des prix? Pour qui donc prenez-vous le lecteur? Il est vrai que vous me prenez bien pour Torquemada! La seule raison d’être d’un écrivain dans la mêlée politique, mon cher confrère, c’est de dominer sa passion; c’est de rester véridique.

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