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André Lafon, Poèmes provinciaux —Jacques Nayral, Le Temple sans Idoles —J.-Louis Merlet, L'Idole fragile —A. Skuffo, Les Chansons blêmes

BnF_Revue du Tps présent_1909_11_02.pdf

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André Lafon, Poèmes provinciaux. –De la plus humble destinée, M. A. Lafon sait dégager ce que Maeterlinck appelle “le tragique quotidien”. Il évoque dans le silence d'une petite ville, la veillée de famille autour de la lampe, les voix qui se taisent à cause du sommeil de l'aïeule, les visages tristes qui sourient à l'arrivée du père pour ne pas troubler sa joie... Jamais il ne nous dit une peine sans la “situer” dans le cadre et à l'heure qui lui conviennent: Les crépuscules sur le pauvre jardin, les vieux meubles de famille, les objets usuels jouent leur rôle dans ce drame de chaque jour où s'épuisent nos vies tourmentées:

Ce jour-ci m'a meurtri plus qu’un dur faix de branches,
Pourtant je ne hais pas sa lueur qui s'en va.
Près des vitres le soir me ramène et me penche,
J'oublie en ma langueur ce mal qu'il me porta.
Une brune douceur se glisse dans la pièce.
L'horloge centenaire en sa gaine de bois
Laisse égoutter le temps sans hâte ni faiblesse
Ayant vu s'enlacer le rire et la détresse
Et puis tout s'effacer des âmes d'autrefois.
Si tu rentrais, ô toi, toi par qui je défaille
En ce soir où mon cœur et plus lourd que ses poids,
Je dirais seulement : “Te voilà... te voilà...”
Tu viendrais près de moi sur la chaise de paille,
Je reverrais tes mains, tes cheveux, ta médaille.
Et je ne serais pas plus amer pour cela.

Quelques-uns diront: C'est du Francis Jammes. On trouve en effet dans les poèmes provinciaux la même résignation devant la vie étroite, l'amour des plus humbles choses, exprimés aussi simplement, aussi directement que dans l'œuvre de Jammes. Mais M. A. Lafon ne s'abandonne pas au hasard de l'inspiration; son art est discipliné, l'harmonie de ses poèmes n'est due qu'aux moyens les plus classiques: il n'a subi l'influence du poète d’Orthez qu'avec mesure et discrétion.
Son défaut est de ne se point méfier assez de formules bordelaises, d'une correction douteuse:

On ne parlera plus, et la mère pourtant
En s'éveillant fera: “J'entendais mes enfants.”

Je ne résiste pas au plaisir de citer encore un des poèmes provinciaux. Les jeunes gens qui souffrent dans l'isolement d'une sous-préfecture, les Emma Bovary fatiguées de leurs jours médiocres y verront quels trésors de poésie recèle une vie obscure, quelles beautés insoupçonnées les vers du poète en ont su faire jaillir:

Dis, c'est assez rêver au bord des vitres pâles.
C'est assez se meurtrir le cœur à ce qui fut.
Vois quelle obscurité par la pièce s'étale;
Allume le foyer et la lampe, veux-tu?
C'est l’heure. Mets la nappe et les assiettes blanches,
Les chaises, l'abat-jour qui est sur le buffet,
Et que ton père entrant puisse avec le soufflet
Faire s'épanouir la flamme de ces branches.
.
Que las de son travail et du chemin montant,
Las de tant d'autres jours et t'aimant comme il t'aime,
Il n'ait pas cet émoi douloureux en ouvrant
De voir la salle énorme et sur les dehors blêmes
Ta face où trop de deuil se peint en ce moment.
.
Ta peine cache-la, fais-la doublement tienne,
Car plus que le feu clair et la table et le pain
C'est ton rire discret. ta voix, ta voix sereine
Ton front libre d'ennui, ton regard sur le sien
Que souhaite son vœu de paix quotidienne.
Va, souris, par bonté, n'entends-tu pas? ...il vient.

Ceux qu'ont exaspérés les lieux communs chers à cette génération: “le droit à l'amour”, “le devoir de vivre sa vie”, et qui sont las de symboles usés et de vocabulaires prétentieux, trouveront dans les Poèmes provinciaux l'écho d'une âme résignée, qui dit sa peine et sa joie de chaque jour “de la façon la plus simple qu'il est possible”.

Jacques Nayral, Le Temple sans Idoles. –Je n'en pourrais dire autant de M. Jacques Nayral qui ne traite au contraire que des grands sujets. La bible et l'histoire romaine lui en fournissent à sa mesure: son livre est une toute petite “légende des siècles”. On y trouve quelques digressions philosophiques sur l'angoisse du doute et “les mensonges des prêtres”. M. Jacques Nayral écrit facilement et avec abondance des vers “bien frappés”.

J.-Louis Merlet, L'Idole fragile (Société de l'Edition libre). –M. J.-L. Merlet publie des vers somptueux et somptueusement édités. Il les fait précéder de lettres que lui écrivit Albert Samain et qui sont bien flatteuses pour lui: “vos vers ont de la couleur, du nombre, de la chaleur et un goût naturel du faste et ce que j'appelle l'atmosphère impériale”.
Albert Samain avait lui aussi le goût de “l'atmosphère impériale”. Encore que nous lui devions de fades élégies, il écrivit sous l'influence de Baudelaire et de Poë des sonnets tout à fait néroniens, dont le dégoûtant héros de Jean Lorain, M. de Phocas, put faire ses complaisances.
Sur ce modèle, M. J.-L. Merlet a rimé des poèmes “orgiaques ct mélancoliques”. La femme y est célébrée en détail et on y voit danser beaucoup de courtisanes rousses parmi les cassolettes. En beaux vers massifs et rutilants comme de lourds bijoux, le désenchantement s'exprime d'une jeunesse qui a trop cherché le bonheur où il n'est pas. –M. Merlet commente en des son nets ingénieux cette curieuse toile d'H. Martin “Chacun sa chimère” qui souvent m'attira au musée de Bordeaux.

A. Skuffo, Les Chansons blêmes (Sansot). –M. A. Skuffo a le mérite d'écrire des vers qui ne rappellent pas ceux de Jammes, non plus que ceux de Moréas ou de Régnier. C'est aujourd'hui une curieuse originalité. Ses poèmes sont d'un enfant du siècle: il est resté fidèle à Musset, au poète charmant qui fit pleurer notre adolescence. Atteint “du mal de vivre”, il garde au milieu des plaisirs les dégoûts d'une âme fière et son incurable ennui.
Voici des vers que je ne choisis pas et qui suffisent à révéler en M. A. Skuffo un disciple attardé mais charmant d'Alfred de Musset:

J'avais longtemps erré sur une mer lointaine
Où du vieil univers j'ai sondé l'horizon.
Le souci du plaisir fut mon seul capitaine;
Enfant d'un siècle impur, nourri de trahison,
J'ai déchiré mon cœur dans sa course incertaine,
Et sans vouloir le mal, j'en ai bu le poison.

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