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Bonheur, pièce en trois actes, de M. Ch. Oulmont - Galatée, légende antique en un acte, de M. A. Mortier, au théâtre des Arts - Le Cocu magnifique, de M. Crommelynck, au théâtre de l'Œuvre

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Beaucoup de mères ne peuvent supporter que leurs enfants souffrent. Elles ne redoutent aucune intrigue, aucun mensonge pour leur assurer le bonheur. Ainsi l'héroïne de M. Ch. Oulmont a obtenu que son fils épouse la jeune fille qu'il aime et dont il n'est pas aimé. De même elle fait sans vergogne des avances à un jeune homme de qui sa fille est amoureuse. Mais ce garçon sans délicatesse, non content de n'épouser pas la fille, enlève la bru. C'était un beau sujet: il arrive en effet que la passion maternelle, comme toutes les passions, suscite des désastres. Pourtant il est des mères passionnées, mais assez politiques pour ne pas, au prix d'un bonheur immédiat, compromettre l'avenir de leurs enfants. Nous doutons qu'il existe une maman aussi dénuée de prévision que celle que nous vîmes hier au théâtre des Arts. C'était, disions-nous, un beau sujet; encore le fallait-il traiter: surtout il eût été important que M. Oulmont possédât une connaissance au moins superficielle de son métier. Ses personnages sont rudimentaires, et il n'est rien de moins naturel que son dialogue ni de plus maladroit que l'agencement des scènes. Enfin M. Oulmont ne nous donne pas un instant l'illusion de la vie. Et sans doute beaucoup d'auteurs ne nous la donnent que grâce à des recettes. On serait tenté d'aimer dans Bonheur qu'il y ait si peu d'habileté, si peu d'invention, une telle indigence, et qu'à aucun moment l'auteur ne nous jette de poudre aux yeux: est-ce impuissance, candeur, ou parti pris? Ce drame était précédé d'une légende antique de M. A. Mortier. Le mythe de Pygmalion et de Galatée compte parmi les plus émouvants. Peut-être cet acte donnerait-il quelque agrément à la lecture; mais rien n'est si redoutable qu'un dialogue philosophique sur un tréteau. M. Mortier y montre d'excellentes intentions et le plus louable spiritualisme. Galatée, de qui la statue s'émeut devant Pygmalion, méprise cet amour charnel, rêve de l'âme et ne trouve pas que la vie vaille un baiser...
Crommelynck est un rude ouvrier qu'on imagine sculptant avec une énorme verve les péchés capitaux dans une pierre catholique: c'est un imagier du temps des cathédrales et le Cocu magnifique nous met en garde contre la lubricité d'abord, mais surtout contre sa fille la jalousie. Bruno — le magnifique — est au premier acte en proie à une crise de ce que M. M. Donnay a ici même dénommé candaulisme; son indiscret amour éveille des convoitises qui éveillent sa jalousie. Et voici le jaloux, un jaloux haut en couleur, si violemment enluminé, si grassement taillé que tous les barbons du répertoire, ceux de Molière et Ceux de Beaumarchais, Othello lui-même, apparaissent auprès de lui pleins de modération et de bénignité. Au second acte, sa petite femme, Stella, se montre affublée par son tyran d'un masque horrible, tous les verrous sont tirés, tous les volets sont clos; le jaloux devient l'avare: il couve ce corps, comme Harpagon sa cassette... et tout à coup, parmi ces outrances, jaillit une scène si délicate et si chargée de poésie, que nul ne songe plus à rire: Bruno, un instant, soulève le masque et dès qu'il a vu le visage adorable de son amour, il s'agenouille, s'attendrit, pleure, demande grâce, console l'enfant si douce... Mais son mal n'est qu'un instant conjuré et le jaloux en arrive au point d'exiger de sa femme qu'elle le trompe, parce qu'il préfère tout à l'incertitude. Nous suivons Crommelynck jusque-là; cette fureur jalouse devait atteindre à ce comble de sottise conjugale de souhaiter que Stella le déshonore avec mille garçons pour qu'il découvre dans leur foule l'inconnu qu'elle aime. Mais comment admettre que, par amour, la jeune femme cède à l'immonde exigence du fou? Visiblement, l'auteur est vaincu par sa verve flamande, il ne la contient plus et s'abandonne aux inventions d'une fantaisie sans frein. Des musiques de kermesse viennent du village en folie dont Stella est devenue la proie à la fois infâme et innocente. Le Magnifique se déguise pour atteindre au fin du fin qui est de se tromper lui-même. Le public serait-il entré dans le jeu sans la magistrale interprétation de M. Lugné Poe? Un tel artiste imposerait l'œuvre la plus scabreuse. Mais la candeur savante de Mlle Régina Camier dans le rôle de Stella eût suffi à gagner le plus récalcitrant des publics. Nous avons aimé sa soumission de petite fille amoureuse, et, au dernier acte, cette étrange pureté parmi tous les hommes ivres qui la pressent; elle sauve tout par l'ingénuité. Elle est l'Ève charmante de qui l'âme échappe aux souillures de son tendre corps et qu'on imagine, au dernier acte, emportée par les anges.

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