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Le plus triste mystère

Référence : MEL_0970
Date : 15/10/1934

Éditeur : Vaincre
Source : 2e année, n°1, p.3-4
Relation : Notice bibliographique BnF

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Le plus triste mystère

Les lépreux que vous guérissiez, étaient guéris à jamais; tout leur corps devenait sain: prodige moins surprenant que celui qui s'accomplissait dans leur âme, à peine aviez-vous prononcé la parole: “tes péchés te sont remis...”
Mais ce miracle invisible, ce miracle secret qu'il appartient au Fils de l'Homme de renouveler en chacun de nous, il n'en maintiendra pas l'effet sans que nous le voulions avec Lui. Il n'a pas besoin de nous pour assainir notre chair: mais Il a besoin de nous pour que notre cœur ne retourne pas à la corruption. Et c'est pourquoi les miraculés des Evangiles, comme ceux de Lourdes, aujourd'hui, ignorent toute rechute –alors que les pécheurs succombent septante fois sept fois à l'atteinte d'un mal dont le Fils de l'Homme les avait guéris.
Il faudrait que Vous Vous chargiez de tout, et que Vous soyez le Maître de notre âme comme Vous l'êtes de notre corps. La chair inerte Vous obéit comme le faisaient les vents et la mer. Notre sang vous est soumis, pareil à ces flots sur lesquels vous avanciez vers la barque de Pierre. Vous pouvez y multiplier les globules rouges comme des pains, parce que la matière est docile entre les mains de Son Créateur.
Mais dans ce cœur, à peine délivré du mal, une convoitise demeure qui s'oppose à Vous. En vain, Vous abaissez-Vous jusqu'à lui: en vain le comblez-Vous, ce cœur à peine purifié, de Votre propre chair, de Votre propre sang, de Votre âme et de Votre divinité: une convoitise couve sous la cendre encore chaude; elle n'attend que l'apparence de Votre absence pour jaillir...
C'est le plus triste des mystères que ce pouvoir qui nous est donné contre Vous. L'amour qui a créé la Terre, le Ciel et les Enfers est impuissant devant l'immonde désir de la créature libre. Nous possédions Votre Paix, Votre Silence, nous Vous possédions Vous-même, ô merveille, dans ces matins radieux, où écartant les mains de notre visage, nous nous apercevions que le prêtre avait déjà quitté l'autel et que l'Eglise était vide. Cette richesse infinie, il nous appartenait d'y renoncer, mais quelle apparence qu'un homme qui a découvert une perle de grand prix la jette délibérément à la mer?
O perle jetée, retrouvée par miracle et de nouveau jetée! Et sans Vous lasser jamais, Vous nous la remettez dans la main. Prenez cette main dans la vôtre: serrez-la si fort –dussiez-Vous la meurtrir– qu'elle ne se rouvre pas, même si elle en avait le désir et qu'elle garde ce trésor, fût-ce contre son atroce volonté.

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François MAURIAC, “Le plus triste mystère,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/970.

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  1. BnF_Vaincre_1934_10_15.pdf