Le Nègre

Ce nègre à la Martinique, condamné pour meurtre, attendait dans un cachot l’aube de l’exécution; et soudain le Mont Pelée crache sa lave; des milliers d’êtres humains périssent; le nègre survit seul, miraculeusement délivré par le fléau. Ainsi un Lucien Rebatet peinait, obscur forçat, dans les soutes de l’Action Française. Aucune espérance d’être délivré avant sa mort. Il connaissait les mœurs de la maison et que les petits y étaient sacrifiés à la trinité des maîtres: Maurras, Daudet, Bainville. Quelques ilotes: Massis, Benjamin avaient la permission de ramasser à quatre pattes sous la table des miettes des dieux.
Mais voici le désastre inespéré, l’immonde la grande presse un Laubreaux marqué France mais a délivré quelques esclaves: et l’on voit surgir du fond des ergastules de la grande presse un Laubreaux marqué à l’épaule, un Rebatet.
Dans ses Décombres, Rebatet a beau accabler d’outrages ses adversaires politiques, il y apparaît bien que toute sa haine –une haine cuisinée dans le secret et recuite durant ses années de bagne, va toute à son maître, à la fois abhorré et adoré, à ce Maurras dont il a dépouillé la livrée; mais rien ne peut faire qu’il ne soit sa créature ni qu’il ne se sente incapable de lier deux idées hors de l’orthodoxie maurrassienne.
Maurras aura fourni, pendant plus de quarante années, un système cohérent et complet aux imbéciles incapables de critique. Mais l’étrange est que des garçons intelligents aient consenti à revêtir ce vêtement de confection; plus étranger encore que l’ayant dépouillé, ils errent en aveugles, au gré des circonstances, –et les voici traîtres, collaborateurs de l’ennemi, dénonciateurs de leurs frères avant même d’avoir fait trois pas hors de la galère de l’Action Française où, depuis leur adolescence, ils ramaient enchaînés.