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Reine d’Arbieux de Jean Balde

Référence : MEL_0738
Date : 09/06/1928

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 37e année, n°23, p.239-241
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Note de lecture
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Reine d’Arbieux de Jean Balde

Pas plus qu'on ne peut séparer une plante de sa motte, il ne faut détacher les personnages de Jean Balde du pays où ils mènent leur vie passionnée. Et même il est tel de ses récits –comme le Goéland– où le pays semble vivre avec plus de force que les êtres qui s'y agitent. Mais, dans Reine d'Arbieux, Jean Balde a rétabli, entre les plantes humaines et le sol qui les nourrit, ce bel équilibre que nous avions admiré déjà dans la Vigne et la Maison.
Reine d'Arbieux est le beau fruit vivant de cette contrée presque inconnue, de ce Bazadais dont les collines entourent une petite ville endormie depuis plus de cent ans. Un bruit de roues, l'an dernier, l'éveilla: c'était la patache qui emportait le dernier sous-préfet de Bazas, le président du tribunal, les juges, le greffier et le gardien de la prison. Et maintenant le silence habite à jamais la place aux arcades basses, la cathédrale et ces remparts avec leurs bancs où personne jamais plus ne viendra s'asseoir.
Dans ses autres romans, Jean Balde a décrit des paysages familiers –ceux que ses yeux contemplent tous les jours. Mais voilà des années qu'elle a quitté le pays de Bazas. Elle n'a pas regardé autour d'elle pour le peindre; elle a dû au contraire fermer les yeux, descendre dans son propre cœur, jusqu'à cette région profonde où nous conservons intacts, pour notre joie et pour notre douleur, ce paradis parfumé de l'enfance dont a parlé Baudelaire –ce “vert paradis des amours enfantines”, cet “innocent paradis plein de plaisirs furtifs”.
Comme elles s'embellissent en nous, les vieilles propriétés que nos parents ont vendues avant que nous ayons atteint l'âge d'homme! Elles gardent intact ce mystère dont notre imagination d'enfant les avait revêtues. Calypso sommeille encore au fond de la grotte; une cousine se retient de respirer dans la “cachette” où il ne faut pas qu'on nous découvre. Ceux qui nous cherchent oublient ce grenier dont le foin odorant nous ensevelit.
Dans Reine d'Arbieux, Jean Balde a bien moins observé qu'elle ne s'est souvenue. C'est sans doute pourquoi ce livre est le plus poétique qu'elle ait écrit. Mais en même temps il se détache d'elle tout à fait. Ses créatures ne lui sont plus reliées par aucun lien visible. Des hommes, ici, aiment et haïssent, qui ne lui ressemblent pas, qu'elle n'a pas rencontrés dans la vie, qu'elle a inventés.
Reine d'Arbieux... Se peut-il que Bazas ait jamais vu naître une fille si passionnée? Mais je me souviens de grandes vacances à Bagnères-de-Bigorre. Au sommet d'une petite montagne où nous étions allés en troupe, une jeune fille de Bazas, qui nous accompagnait, émue par “les beautés de la nature”, répandit quelques larmes qui nous firent une grande impression à mes frères et à moi.
Reine d'Arbieux, c'est une volonté tenace au service d'un immense appétit de bonheur. Le garçon qu'elle chérit, et qui est pauvre, manque de confiance dans la vie, et s'embarque pour les colonies sans avoir prononcé la parole qui les aurait unis; mais Reine, après quelque temps de douleur, se ressaisit. Elle ne veut pas perdre la partie; elle consent à devenir la femme de ce Germain Sourbets qu'elle n'aime pas, mais dont elle se sait adorée. Et après les premières déceptions du mariage, elle ne renonce pas encore: il lui reste d'être mère. Elle jouera toute sa destinée sur cette part d'elle-même qui commence de remuer dans son sein. Il faut que ce Sourbets –qui est un brutal–anéantisse cette espérance de maternité, pour que Reine d'Arbieux commence à connaître le désespoir. Mais tant d'échecs ne font qu'exaspérer sa volonté d'être heureuse. Elle s'obstine à attendre la joie malgré la conjuration de Dieu et des hommes.
Nous l'avons toujours cru: c'est trahir un romancier que de résumer en quelques lignes les péripéties d'un long ouvrage. L'investissement de cette jeune femme solitaire et désespérée, par un garçon habile à feindre une tendresse qu'il n'éprouve pas (mais s'il n'a pas soif d'amour, Adrien Bernos a soif de vengeance, et Jean Balde a rendu admirablement cette “substitution de passion” qui trompe la malheureuse Reine); l'enlèvement de Reine, l'arrivée à Bordeaux, l'affreux réveil à l'hôtel, enfin la scène magistrale sur les quais, au moment où le Lotus va lever l'ancre, et où, jusqu'à la dernière seconde, nous ignorons s'il va emporter au delà de l'Océan Reine d'Arbieux et son ravisseur, tout cet enchaînement de circonstances et de passions témoigne d'une maîtrise à laquelle nous sommes heureux de rendre hommage. En Reine d'Arbieux, le long effort de Jean Balde, ce travail patient mis au service des plus beaux dons, trouve sa récompense; –et nous sommes nombreux à nous réjouir que, cette année, l'Académie française ait distingué cette grande artiste et qu'un rayon de gloire dore le toit de la vieille maison girondine où elle accomplit modestement, et dans le secret, une œuvre durable.

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François MAURIAC, “Reine d’Arbieux de Jean Balde,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/738.

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